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La traversée de l’Atlantique nord en cargo (1)

La traversée de l’Atlantique nord en cargo Retrouvez notre série d'articles consacrés à la Belle Province, avec un récit de traversée de l'Atlantique en 5 parties...


La traversée de l’Atlantique nord en cargo (1)

Le chargement du Tage dans le Port de Montréal

Lundi 19 juillet 2004

La traversée de l’Atlantique nord en cargo
Journal de Bord (1/10)

Par curiosité et par esprit d’aventure, j’ai décidé au moment où je devais quitter Montréal pour rejoindre l’Europe de voyager en cargo. Avant de mettre le pied sur le pont du CMA-CGM Tage, je ne connaissais rien de la marine marchande, et n’avais pour toute expérience de la mer qu’une traversée de la Grèce à la Crète en ferry. Je vous présente ici la retranscription de mon journal de bord, jour par jour, découverte par découverte. Certaines de mes premières impressions n’étaient pas fondées et nombre de mes préjugés se sont également révélés faux.

Le chargement du Tage dans le Port de Montréal Je savais devoir passer 10 jours avec des hommes que je ne connaissais pas, sans moyen de quitter le navire si je le désirais. J'appréhendais également cet isolement forcé bien que volontaire. L’aventure finalement fut plus humaine que physique. Lors de cette expérience enrichissante, je suis entré en contact avec un monde qui m’était complètement inconnu, celui des marins. J’ai aussi découvert une culture, celle de l’équipage roumain, plus proche de la mienne que je n’aurais pu l’imaginer.

Mon appareil photo n'était pas toujours le bien venu et je sais que ma prise de notes continuelle a intrigué plus d'un membre de l'équipage du Tage. Je tiens ici à les remercier de leur compréhension et leur hospitalité chaleureuse.

1er jour
L'arrivée à bord du CMA-CGM TAGE

Après avoir longé une bonne partie du très long port de Montréal par la rue Notre Dame Est, j’arrive sur le quai où mouille le CMA-CGM Tage, vers 18h. Je monte à bord par une passerelle étroite et souple, unique accès au pont. Des hommes d’équipage sont là à discuter et à regarder vaguement les camions acheminer des conteneurs un par un jusqu’aux pieds des deux immenses grues qui chargent les cales du Tage. Je suis accompagné par une femme, ce qui semble-t-il, attire du monde de ce côté-ci du bateau. J’ai du mal à identifier la langue dans laquelle ils conversent - je saurai bientôt qu’il s’agit du roumain – et doit utiliser mon anglais approximatif pour me présenter à eux. Après quelques instants, arrive le Second Capitaine du navire, dont j’ignore à ce moment là le nom comme le grade. Il est habillé en civil et s’exprime en français avec un fort accent. Après les vérifications d’usage, le maître d’hôtel me conduit jusqu’à ma cabine à travers un méandre de couloirs. Une odeur d’huile et de machines est présente partout, du pont sur lequel je suis monté à bord jusque dans ma cabine en passant par les couloir et l’ascenseur. Au premier abord, le Tage ne me fait pas bonne impression. Mais c’est la toute première fois que je monte sur un navire de commerce, ce que je vois est-il la norme ou l’exception ?

20h30 De retour sur le Tage. Je suis allé manger un ultime repas au centre ville de Montréal. Mon accompagnatrice est repartie après que nous nous soyons salués sur le quai. Les deux grues continuent de charger. Je prends quelques photos de la scène avant que la nuit ne tombe complètement. Le Tage est arrivé dans le port de Montréal ce matin, m’a-t-on dit. Le départ est prévu vers 2 heures cette nuit. Il faut donc aux dockers Montréalais moins de 24 heures pour décharger et recharger un cargo. Nous arriverons à Anvers dans 10 jours. J’apprends que le cargo est ancien et je crois comprendre qu’il a changé de nom récemment.

22h Dans ma cabine. Il y a quelques minutes, j’ai croisé le Capitaine Commandant dans la salle à manger des officiers où le maître d’hôtel m’a conduit. Il finissait de dîner avec le représentant de la CMA-CGM à Montréal, son épouse et son jeune enfant. Il s’est montré très chaleureux. C’est un homme dans la cinquantaine. Il porte une barbe blanche peu épaisse et bien taillée. Jusqu’à présent, il est le seul membre d'équipage que j’ai rencontré à porter une chemise d’uniforme. Ma cabine fait environ 15m². Un lit simple, une commode et une armoire la meublent. Tout semble d’origine, mais je ne parviens pas évaluer l’âge du navire. Je dispose également d’une petite salle de bain où se trouve douche et toilettes. La cabine est éclairée par deux hublots, qui donnent sur tribord. Tout est très propre. Il a fait chaud toute la journée. Très chaud. A 22h passées, il fait encore plus de 25°C. Il semble que le Tage ne soit pas climatisé et ne dispose pas système de refroidissement. La chaleur humide est étouffante.

J’ai pu voir passer un conteneur à moins de 5 mètres de moi, en regardant par une des fenêtres du salon des passagers. Voir se déplacer une telle masse avec rapidité et souplesse sans qu’elle n’émette le moindre son est très impressionnant.

Sur le pont, les bruits du chargement sont omniprésents. En fait, d’ici les quais et le navire ressemblent à des entrepôts géants en plein air. C’est d’ailleurs ce qu’ils sont, en quelques sortes. Les odeurs et le bruit me donnent également l’impression d’être sur une usine flottante. Je suis impatient de voir cette “usine” appareiller. Le Saint Laurent, peut-être des baleines… et l’océan.

J’ai commencé à défaire quelques bagages. Le Capitaine m’a demandé d’apporter mon passeport à l’officier de quart, sur la passerelle. Je n’ai pas encore croisé de douanier.

J’ai rencontré Sylvia, qui sera passagère du Tage jusqu’à Hambourg. Nous ne sommes que deux passagers, alors que le Tage peut en accueillir jusqu’à 12.

Sylvia est germano-américaine. Elle vit avec son mari dans le Nevada, près de Las Vegas, depuis 14 ans. Elle est traductrice de textes techniques de l’américain vers l’allemand. Sylvia a une cinquantaine d’années. Elle rend visite à sa famille allemande tous les trois ans, par voie de mer parce qu’elle ne supporte pas l’avion. Dans toutes les pièces du navire règne la même chaleur.

De retour à ma cabine, je prends une douche qui me rafraîchit à peine. Malgré la fatigue, j’ai du mal à m’endormir. Sans doute est-ce du à l’excitation du départ et à ma crainte de manquer le moment où le Tage quittera le quai.


Départ du port de Montréal

2ème jour
La descente du Saint-Laurent en passant par Québec

De retour à ma cabine, je prends une douche qui me rafraîchit à peine. Malgré la fatigue, j’ai du mal à m’endormir. Sans doute est-ce du à l’excitation du départ et à ma crainte de manquer le moment où le Tage quittera le quai.

4h45 Les vibrations du bateau me réveillent. La porte de ma cabine est mal ajustée. Elle fait un joli vacarme.

Le Tage est en train de faire demi tour pour se mettre dans le sens de la descente du Saint-Laurent. Le départ qui était prévu à 2h, a donc été retardé. C’est le tout petit matin. Il pleut.

Du pont arrière, je vois la forme caractéristique du stade Olympique de Montréal disparaître derrière les lumières et les ombres du port. Lui-même s’éloigne lentement. Nous sommes partis.

Sur la passerelle supérieure. Je suis presque à la hauteur de la bouche de l’unique cheminée du Tage. Sur le pont se dresse un gros mat où se trouvent deux radars. Le drapeau Canadien flotte à tribord. Les navires se doivent de hisser le pavillon des pays qu’ils accostent. Sur ce même mat, à bâbord, est hissé un drapeau blanc et rouge.

Le Second m’apprendra dans la journée que ce drapeau est appelé Pavillon Hôtel et qu’il signifie qu’un pilote est à bord. Accessoirement, ce pavillon peut-être utilisé comme pavillon de courtoisie sur l’île de Malte.


A droite : Une île, au petit matin

Le Capitaine Commandant se nomme Dumitru Ionescu. Il m’invite à me rendre sur la passerelle quand je le désire. C’est de la passerelle que les officiers de quart commandent les manœuvres.

J’étais convaincu, en choisissant de voyager sur un navire, qu’il ne me serait pas possible de communiquer avec la terre et que je me condamnais ainsi à un isolement que je ne connaissais pas encore. Ce n’est en fait qu’en partie vrai. Le Capitaine Dimitri, comme il veut être appelé, m’indique qu’il est possible d’envoyer des fax et des méls, et même de passer des coups de téléphone. Mais, la communication satellite coûte environs 7€ par minute. Il me propose la gratuité des méls que je dois composer à l’avance sur un des Pc de la passerelle. Le lendemain, il me dira qu’ils seront comptabilisés comme ceux de l’équipage et qu’il me présentera la petite note une fois arrivé à Anvers.

Le Capitaine et le Second, comme tout le monde à bord jusqu’à présent, sont très courtois et prévenants. Sur la passerelle, le soleil est presque en face de nous. Les rives et les îles du Saint-Laurent, enveloppées de brumes, sont magnifiques.

Le pilote du port de Montréal, calmement et méthodiquement, indique régulièrement les changements de cap au timonier. La barre du navire est étonnement petite, 25 cm de diamètre tout au plus. Nous devrions quitter le Saint Laurent ce soir à 18h.

6h Sur la passerelle supérieure. Le ciel s’est dégagé avec l’aurore. Il fait très beau à présent. Le Second m’a expliqué que les vibrations qui m’ont réveillées ce matin sont dues aux haut-fonds du Saint Laurent. Mais, tout au long du voyage, même en pleine mer et par temps calme, le navire ne cessera jamais complètement de vibrer et de faire du bruit. La chaleur humide et étouffante continue de régner dans le navire. Je n’ai pas réussi à ouvrir le hublot de ma cabine qui est fermé par quatre verrous « papillons ». Ils sont pris par la dernière couche de peinture qu'on y a appliqué. Je vais avoir besoin d’un marteau pour les faire tourner.

L’équipage est composé de 29 personnes. Mon contact à Marseille m’avait dit que les officiers seraient français et l’équipage international. Il n’en est rien. Tout le monde est roumain. Le Capitaine et le Second sont les seuls à parler français. Et bien que CMA-CGM soit une compagnie française, le Tage bat pavillon panaméen. (Sic.) Si on ajoute à cela, mon impression d’hier, de monter à bord d’un rafiot, quelques inquiétudes occupent mon esprit.

Nous naviguons en longeant la rive sud du Saint Laurent. Parfois un clocher émerge de la cime des arbres. Je peux découvrir des maisons qui ne sont pas visibles d’ailleurs. Nous croisons régulièrement d’autres navires. Le paysage est très vert.

Sur ce pont –je découvrirai qu’il en est de même partout ailleurs pour les parties extérieures du navire- le sol est peint en vert et les échelles en jaune. Le château est blanc et les deux grues (une de chaque côté du château) sont bleues. Hier soir, dans la pénombre de la nuit tombante, je ne m’étais pas aperçu que le Tage était si coloré.

Partout où je suis allé sur le bateau jusqu’à présent, on peut entendre de la musique. C’est un programme unique composé de 800 mp3 qu’un pc fait tourner en boucle. L’équipage en est un peu lassé. A force, il connaît les morceaux par cœur.

L’équipage n’est pas retourné en Roumanie depuis plus de trois mois. Cette traversée est la dernière avant leurs vacances. J’imagine que la vie sociale à bord, relativement confinée, ne doit pas être évidente.


Changement de pilote à Trois Rivières

8h15 Sur la passerelle, discussion avec le pilote du port de Montréal. Il se nomme Gilles Trottier. Il est Lieutenant et Capitaine dans la marine marchande. Il a 37 ans de service à son actif et sera à la retraite dans 15 mois. Le Tage est le 1634e navire qu’il pilote.

A Trois Rivières, à mi-chemin entre Montréal et Québec, un autre pilote montera à bord pour le relever. Un autre changement de pilote se fera à Québec. Le 3ème pilote quittera le navire à Escoumins.

Gilles Trottier donne les nouveaux caps à haute voix au timonier qui les répète en exécutant la manœuvre à la barre. Le Saint Laurent est un fleuve très large - même à Montréal qui est pourtant à 1000 km de l’estuaire - mais le chenal est étroit : « On ne peut pas se permettre d’embardée, précise Gilles Trottier. Ça ne prend pas de temps pour qu’un navire s’échoue. » Nous avançons à 15 nœuds. Le chenal est balisé. Il fait, à cet endroit, seulement 240m de large et 11,3 m de profondeur alors que le Tage fait 214m de long, 31m de large et a un tirant d’eau de 8,75m. En effet, l’erreur n’est pas vraiment permise !


A droite : les deux ponts de Québec

Des monticules artificiels de roches dépassent de la surface de l’eau. Le pilote m’explique qu’ils ont été placés pour fixer la glace aux abords du chenal. Le Saint-Laurent est ainsi navigable toute l’année, même quand les températures descendent en deçà de –40°C. Chaque année 15 à 16000 navires y naviguent.

Le Capitaine me montre sur des cartes la route que nous suivons pour sortir du Saint Laurent. Nous sommes dans une zone de séparation du trafic, qui ne prend fin qu’à la sortie des eaux territoriales du Canada. Une fois la Gaspésie derrière nous, nous allons faire route vers le sud pour passer sous l’île d’Anticosti, puis encore au sud pour passer au large de la zone d’icebergs de Terre Neuve.

Sylvia, la passagère avec qui je prendrai l’essentiel de mes repas, a déjà fait trois jours de train pour parvenir du Nevada au port de Montréal. Elle enchaîne sur au moins 11 jours de bateau, puisqu’elle ne descend pas à Anvers, mais à Hambourg. Il fait à présent un peu moins chaud. Le vent s’est levé. Sylvia m’assure qu’elle n’a jamais connu de température supérieure à 17°C en pleine mer. Vivement la pleine mer.

13h45 Nous sommes passés sous les deux ponts de Québec et devant le majestueux château Frontenac. Nous passons maintenant au sud de la très belle île d’Orléans. Sylvia et moi, sur la passerelle supérieure, ne voyons la chute Montmorency que de loin. Elle se trouve sur la rive Nord et disparaît bientôt derrière l’île.

Le Second Capitaine s’appelle Bogdan Pirvanescu. Il fait deux quarts de quatre heures par jour, espacés de 8h. Les autres quarts sont assurés par le Lieutenant de Sécurité et le Lieutenant de Navigation.

18h30 Nous devrions croiser Tadoussac dans une heure environs. Tadoussac est un charmant village d’où de nombreuses embarcations transportent, en saison, les touristes vers les baleines du Saint-Laurent. Il commence à faire vraiment frais sur le pont, mais ça ne change rien à la température à l’intérieur.

Pour l’heure, le relief des rives du fleuve est magnifique. Nous devrions passer Escoumins vers 20h. Dans ce secteur on voit régulièrement des baleines, m’a-t-on dit.

Les repas sont bons, mails il est évident que la traversée en « cargo-croisière » que mon contact à Marseille m’a plus ou moins vendu n’est pas ce qu’elle prétend être. La chambre est salubre, mais sans plus. La piscine, qui se trouve à l’extérieur est vide, visiblement depuis longtemps, et l’équipement de la salle de sport se résume à un espalier et une table de ping-pong. Mon impression générale du Tage n’est pas très positive.

21h15 La nuit tombe sur le fleuve. J’étais malheureusement à table quand nous avons passé Tadoussac et son grand Hôtel Rouge. Tout à côté du village, le Saguenay se jette dans le Saint-Laurent. Leurs eaux ont une couleur différente et ne semblent pas se mélanger.

Bientôt, il fera nuit noire, on ne verra plus alors que les lumières de la côte.


Le port de Québec et le château Frontenac
(à suivre..).

Nicolas Humbert
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