Annuaire et actualités de Rambouillet

Changez la taille du texte

Retour

La traversée de l’Atlantique nord en cargo (4)

La traversée de l’Atlantique nord en cargo Retrouvez notre série d'articles consacrés à la Belle Province, avec un récit de traversée de l'Atlantique en 5 parties...


La traversée de l’Atlantique nord en cargo (4)

Vendredi 30 juillet 2004

La traversée de l’Atlantique nord en cargo
Journal de Bord (4/5)

Par curiosité et par esprit d’aventure, j’ai décidé au moment où je devais quitter Montréal pour rejoindre l’Europe de voyager en cargo. Avant de mettre le pied sur le pont du CMA-CGM Tage, je ne connaissais rien de la marine marchande, et n’avais pour toute expérience de la mer qu’une traversée de la Grèce à la Crète en ferry. Je vous présente ici la retranscription de mon journal de bord, jour par jour, découverte par découverte...

8ème jour
Discussion avec le Capitaine

l’arrière du navire, trois peintures, dont le portrait de Corto Maltese sur le château, ont été peintes par des passagers. Le bleu de l’océan n’est pas toujours le même. Il peut être clair ou foncé, noir ou gris…

Nous naviguons lentement ce matin. Nous sommes en avance et le port d’Anvers ne peut probablement pas nous accueillir avant l’heure H. Mais, le Capitaine m’a dit hier : « Je ne ralentirai pas maintenant, pas avec un orage en formation derrière nous et un autre au sud. » Des problèmes techniques, cette nuit, à la salle des machines, exigent des réparations qui seront achevées dans une heure ou deux. Nous reprendrons alors notre vitesse de croisière, c’est-à-dire 20 nœuds environ.

10h Salle de commande des machines. Le 1er Chef n’a pas dormi de la nuit. Les réparations sont faites. Tout est en ordre à présent.

Le Capitaine a reçu un mél du port d’Anvers qui confirme son refus de nous voir arriver en avance. Nous allons donc devoir ralentir à un moment ou à un autre. L’orage alors nous rattrapera.

Au repas, je goûte une nouvelle spécialité roumaine : une soupe dans laquelle flottent des morceaux d’estomac de bœuf, assaisonnée au vinaigre, avec une sauce à l’ail et du sel. Trop relevé pour mes papilles et mon estomac de français. Je la troque contre la soupe roumaine habituelle : bouillon, légume et morceau de bœuf.

16h45 Sur la passerelle. Nous devrions passer sous l’île de Scilly, au sud ouest de l’Angleterre dans 15h. C’est-à-dire demain matin vers 7h. Nous serons alors dans la Manche. Nous réduirons la vitesse pour arriver à Anvers dans la nuit du 23 au 24.

Discussion avec le Capitaine. Il n’y a pas d’exercice officiel de la religion à bord. Par contre, il y a des maisons de marins et des missions, principalement chrétiennes, dans tous les ports. L’équipage est recruté par la compagnie, mais le Capitaine peut donner son avis : « On essaie toujours de garder les mêmes gens aux postes clés. » Lors des communications avec la terre, on utilise souvent le temps universel, c’est à dire l'heure du méridien de Greenwich, en Angleterre. Mais on peut aussi, comme il est fait dans les rapports quotidiens, utiliser l’heure locale en indiquant son décalage avec le temps universel.

Le Capitaine, en tant que responsable des communications, doit lire toutes les correspondances. Il peut ainsi – ce sont les raisons qu’il invoque - accompagner les mauvaises nouvelles venues de terre et modérer les messages sortants que l’isolement peut rendre excessif. La confidentialité de ces communications est garantie par son devoir de réserve. Les officiers de pont ont une formation médicale. Où que le navire soit, il est possible de contacter par téléphone un service d’assistance pour les diagnostiques. Il y a à bord des outils de chirurgie légère, des attelles, des médicaments, etc. En cas de problème grave, maladie ou décès, dans la famille d’un marin, la compagnie se doit par contrat de le rapatrier au plus vite et à ses frais.

Il n’y a pas d’arme à bord. Il y a encore quelques années, il y avait un fusil. A présent, il ne reste qu’une paire de menottes. Nous avons perdu, ce soir, notre dernière heure. Nous sommes à présent à l’heure de la Belgique et de la France. La différence entre une journée de 23h et une de 24 est très perceptible. On sent clairement que la journée est plus courte.

Gigi, le maître d’hôtel, habite à Constanta (prononcer Constandtcia), comme la plupart de l’équipage. Constanta est la principale ville portuaire de Roumanie. L’Officier électricien habite une petite ville non loin. Je lui demande la première chose qu’il va faire en arrivant : « La première chose, je ne peux pas te le dire (rire), mais la deuxième c’est peut-être d’aller voir les amis ou de dormir une semaine ou deux. » Il s’inquiète un peu pour sa femme. Comment vit-elle sa longue absence ? Lui, à bord, est occupé. Son travail lui occupe l’esprit. Elle, elle attend.

9ème jour
En panne dans la Manche

Matin. L’océan est d’un bleu très étrange, tirant légèrement sur le turquoise. Le ciel est gris. Le vent est plus fort : vent relatif 42 nœuds (Le vent relatif ne prend pas en compte la vitesse du navire. Le vent actuellement souffle de derrière, sa vitesse réelle est donc supérieure à 42 nœuds.) Sur la passerelle supérieure les antennes vacillent, et ça décoiffe !

Nous passons juste sous l’île de Scilly. Nous entrons dans la Manche. Le trafic est à nouveau séparé, comme dans les eaux territoriales du Canada. Nous allons bientôt sortir de la route pour stopper les machines à la verticale de Plymouth et attendre que le temps passe.

Avant dernier jour à bord. Je trouve à présent toutes les informations que je veux sur la passerelle : température, vitesse du navire, celle du vent, notre route et où nous sommes sur la carte de navigation…

Je découvre la bibliothèque sur le pont 4. Je pensais qu’elle n’existait plus. C’est une petite pièce dont un des murs est couvert par un meuble vitré. Les livres, tous en français, ne remplissent qu’une seule porte de la bibliothèque. Je me souviens avoir vu quelques livres en anglais et en allemand dans un petit meuble du salon passager (pont 3) où je ne vais pour ainsi dire jamais. Dans la bibliothèque, il y a aussi un vieux pc sur lequel j’aurais pu taper mes notes plus tranquillement que sur la passerelle. Mais il est vrai que j’aurais alors manqué beaucoup de conversations avec les officiers. En dix jours, je suis loin d'avoir tout découvert du Tage.


Gauche : Les radios de la passerelle. Droite : Le tableau de commande des ballasts

17h Des mouettes volent autour du navire en panne, c'est-à-dire à l'arrêt. Attendre que le temps passe dans la Manche n'a rien de très gai. Nous n’avons pas encore vu la terre. Mais, enfin, nous ne vibrons plus ! Vent, pluie, brouillard, un vrai temps anglais !

Je ne sens plus les odeurs d’huile et de moteur qui m’avaient tant frappées quand je suis monté à bord à Montréal. Sur la passerelle, comme partout ailleurs, le matériel qui est susceptible de tomber à cause des mouvements du navire est attaché : Pc, écrans, etc. Sous chaque chaise pend une tige métallique que l’on peut visser à un point d’ancrage sur le sol.

C’est dans des moments d’inaction comme celui que je vis à présent que les sentiments de solitude et d’isolement ressurgissent. Vous avez alors intérêt à avoir fait le plein de bons souvenirs avant d’embarquer, sinon la mélancolie vous saisit comme par surprise.

Si on me déposait sur les côtés françaises, à quelques milles d'ici, je serais à Paris en 4h. Nous aurions pu arriver à Anvers cette nuit. Au lieu de ça nous attendons en ce lieu qui semble être « nulle part ».

Pour la première fois, je me sens prisonnier du navire. Pourtant, cela ne fait que 8 jours que je suis en mer. Alors que doit-il en être de l’équipage qui n’a pas vu les siens depuis plus de 3 mois ?!



Gauche : Le Lieutenant de Navigation. Droite : Le Lieutenant de Sécurité

Le Tage sent les produits nettoyants. On prépare le navire pour l’équipage suivant.

18hSur la passerelle. Vent de Sud Est, force 9. Nous avançons à 6 nœuds. Courants et vents nous ont fait un peu dériver. Nous nous replaçons et nous stopperons à nouveau. L’ambiance sur la passerelle est joyeuse. Pour l’équipage, malgré notre immobilité relative, les vacances approchent.

Discussion à table avec le Capitaine. Avant le GPS (Global Position System) on déterminait sa position sur mer par rapport au soleil et aux étoiles. Quand on ne pouvait les voir, on estimait sa position par rapport au dernier point mesuré avec certitude, relativement au cap de la route et à la vitesse du navire. On corrigeait cette « position estimée » dès que le temps le permettait à nouveau. Pour mesurer sa vitesse, on lançait à l’avant du navire un morceau de bois attaché à une corde à nœuds. Après un temps donné, on comptait le nombre de nœuds passés sur la corde. Cette méthode est à l’origine du vocable encore utilisé aujourd’hui, le nœud. Les nœuds sont le nombre de milles nautiques parcourus en une heure. Le mille nautique (1852 mètres) est différent du mile que les anglo-saxons utilisent à terre (1609 mètres). Le GPS couvre la terre entière, exceptés les pôles.

Les officiers doivent s’entraîner de temps en temps à la navigation « classique », pour ne pas perdre la main et être capable d’arriver à destination en cas de panne des appareils électroniques.

Sur la mer, tout peut changer très vite. Le temps est clair à présent, avec des nuages, mais sans brume. Par contre, le vent souffle toujours.

Demain, nous reprendrons la route.



(à suivre...)

Nicolas Humbert
Partagez cette page :